La nature comme espace de réflexion

Escapade dans l’univers coloré de José Luis

José se déplace habituellement plusieurs fois par semaine pour des rencontres en personne. De Montréal à Québec en passant par Drummondville et Gaspé, il a le souci de s’imprégner du territoire, de la matière avec laquelle il aura à travailler et en profite pour approfondir son contact humain avec les gens. Tout est dans la subtilité de l’expérience avec le réel. José est de la vieille école. Un old school bien assumé qui danse sur du David Bowie. Il accepte de me rejoindre dans ma salle de rencontre virtuelle sur Zoom, cet espace cybernétique qui est devenu le théâtre de belles connexions humaines dernièrement.

« La nature, c’est un espace de réflexion, un laboratoire. »

L’artiste en art visuel formé en architecture s’anime lorsqu’il évoque sa relation avec la nature. Les forêts tout comme les terrains vagues abandonnés semblent être de grands complices gorgés de possibilités.

« J’aime m’insérer dans cette nature. Défricher l’endroit. Au début, j’imposais mon travail à la nature. Maintenant, c’est la nature qui se présente dans mon travail. »

Ce lien profond avec l’espace provoque aussi une contamination positive auprès des gens. Le spectateur devient un acteur qui s’active au contact de sa création. Ainsi émerge une communion public-nature-espace où les objets prennent vie et racontent des histoires.

« La réutilisation des objets est en lien avec ma démarche. C’est conceptuel, c’est l’essence de l’oeuvre. »

Au-delà du souci de développement durable, José Luis parcours les écocentres de la province à la recherche de trésors abandonnés qui ont tant à raconter. Eux aussi sont des spectateurs de notre civilisation, des participants actifs de la vie moderne. Notre histoire se trouve dans ces objets qu’on aime tant et qui nous habitent trop souvent; ils sont de grands évocateurs de sens. Dans cette belle mise en scène, ils reprennent vie et dialoguent entre eux et avec nous.

D’une scène à l’autre, les couleurs vibrantes reviennent, s’amalgament et se transforment. Ces univers colorés génèrent un impact assuré, elles sont en fait des explosions de joie à grande échelle qui ne peuvent être ignorées.

« Il existe un fil conducteur entre les projets, c’est une thématique qui évolue, qui se déplace d’un projet à l’autre. Ça devient l’âme, la colonne vertébrale conceptuelle de mon travail.»

Les arc-en-ciel ont soudainement apparu dans notre quotidien. Rassurants, ils affichent leurs couleurs sans crainte aux fenêtres en nous soufflant à l’oreille que ça ira bien. Des horticulteurs écossais créent des plate-bandes florales en forme d’arc-en-ciel, de banals spaghettis de piscines deviennent des arches réconfortants dans les banlieues du Québec. On ne peut rester indifférent face à ces grandes manifestations du public, à ces actions remplies d’espoir, de créativité et de fragilité.

« Il y a une place importante du public dans l’art. Cette manifestation spontanée démontre un besoin de création. Des fois c’est une sorte de thérapie. Le public se donne ce droit, cette liberté. C’est important ça. Je trouve ce phénomène très inspirant.»

Pour ce sculpteur de paysages et d’objets contemporains, qu’il soit temporaire, permanent tout simplement éphémère, l’art public a une fonction pédagogique et est nécessairement un apport important à la communauté. C’est une accumulation de petits gestes. Les uns s’inspirent des autres et on construit ainsi un dialogue lyrique qui évolue collectivement.

« L’art dans toutes ses expressions, l’être humain a besoin de ça. J’aimerais qu’on s’en rappelle plus souvent, pas juste en temps de crise. »

Le phénomène des arc-en-ciel n’est pas unique en son genre. En temps de crise, les manifestations collective sous toutes ses formes deviennent un passage obligé, une opportunité de connecter avec quelques chose plus grand que soi. Les moments de crise sont là pour remettre les choses en perspectives, pour nous forcer à revoir nos priorités. C’est une exfoliation difficile, intense, bien que parfois nécessaire pour laisser place au changement.

Et la couleur dans tout ça. Pourquoi est-elle omniprésente actuellement?

« La couleur et les petits moments de folie, on peut les prendre tous les jours, pas seulement dans des moments critiques. »

On se permet d’éclater, de briller de mille feux pour se sentir exister. Pour exprimer quelques chose trop longtemps laissé de côté. Ça nous permet de lâcher notre fou. C’est une façon de crier qu’on est là, qu’on existe et qu’on veut connecter.

La couleur est au coeur des projets de José Luis. Calme, réfléchi, posé, le visage de l’artiste s’anime lorsque le phénomène de la couleur est évoqué. Il me parle de son oeuvre réalisée dans le cadre du Festival international de jardins l’an dernier avec entrain :

« Ici et ailleurs est une oeuvre en communion avec l’endroit. C’est une invitation à se poser, à prendre de la hauteur pour voir l’ensemble des jardins d’une autre perspective. C’est une grande action ludique. »

C’est effectivement une belle métaphore multifacette. À chacun sa couleur. S’élever un instant pour avoir une vision d’ensemble, pour apprécier tout ce que la diversité a à offrir, pour voir les choses autrement, pour accueillir et nourrir de nouveaux horizons.

Cet appel chromatique fédérateur des sens nous indique la marche à suivre en temps de crise. Accueillir ce moment comme une opportunité de réflexion qui s’offre à nous. Cette pause collective nous force nons seulement à prendre du recul, mais aussi à nous réinventer. C’est un bel exercice de création qui nous démontre qu’il est possible de faire un maximum avec un minimum de ressources. Qu’il est possible d’utiliser l’espace virtuel pour s’exprimer. Le moment est venu d’explorer d’autres façons de faire, de laisser émerger de nouvelles voix. José Luis rappelle qu’il y a aussi le son à exploiter. L’environnement sonore si riche qui est trop souvent laissé de côté.

On doit donc capitaliser sur l’inconnu.

« On ne sait pas ce qui va arriver, mais on doit trouver des solutions alternatives, s’ouvrir à de nouvelles façon de voir, se défaire des vieux concepts et rester ouvert aux nouvelles possibilités, à d’autres priorités. En art, en architecture, mais aussi dans le quotidien. C’est l’opportunité d’ouvrir plus grand. »

José Luis évoque son expérience de migration. Son mouvement de l’Argentine au Canada il y a de ça 17 ans était un de ces moments charnières qui déstabilise. Nécessairement difficile, rempli de deuils et de nouvelles possibilités. Un amalgame de peine, de douleur et de joie et d’excitation. Ces transitions, ces déchirements sont parfois nécessaires, même s’ils nous troublent au plus haut point. Ils nous permettent d’avancer et nous poussent à aller plus loin. On se détache avec chagrin pour mieux plonger dans un monde incertain rempli de richesses et de beauté.

« Parfois, la vie nous amène ailleurs. On doit rester alerte, perméable et souple. Tout est question d’adaptation. C’est une notion importante à développer. »

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José Luis Torres est né en Argentine. Il détient un baccalauréat en arts visuels, une maîtrise en sculpture et une formation en architecture ainsi qu’en intégration des arts à l’architecture. Il vit et travaille au Québec depuis 2003.

Ses œuvres ont été présentées dans le cadre de nombreuses expositions individuelles et collectives, au sein d’interventions publiques ainsi qui au cours de résidences d’artistes à travers le Canada, l’Argentine, les États-Unis, le Mexique et l’Europe.

Dans mon travail, je cherche à stimuler le rapport qui est établi entre le lieu d’accueil, l’œuvre et l’individu qui interagit. Ma pratique artistique, qu’aborde surtout la sculpture, l’installation et l’intervention publique, est motivée par la notion d’appropriation de l’espace et par des détournements de sens, par le biais de gestes simples posés sur des matériaux issus de nos environnements quotidiens.

Les stratégies de mise en espace occupent une place importante dans mon processus de création. Fréquemment, la configuration spontanée, inachevée et ouverte de mes créations, sous forme d’installations in situ et d’interventions éphémères, renvoie à l’architecture.

Du côté de la réception, le spectateur est invité à regarder, à explorer et à vivre l’œuvre physiquement puisque celle-ci est à échelle humaine.

Le but de mes constructions, accumulatives, virales et invasives, n’est pas la forme mais l’action de donner forme à une utilisation ou à une situation. Ce dialogue établi entre le lieu et l’œuvre influence directement la configuration de mes constructions, parfois sans dessin ni plan, le choix des matériaux et leur proportion.

Au-delà de leur aspect parfois rudimentaire, mes œuvres touchent à la notion de mémoire d’un lieu, d’un bâtiment et de leurs habitants. Certains de mes projets intègrent d’ailleurs le public à leur réalisation.

Dans mes projets, les œuvres sont « mises en scène » de façon à repenser les modes conventionnels de présentation d’une œuvre d’art, mais aussi l’image idéalisée du travail de l’artiste. « Faire avec » est un de mes besoins et un des fondements de ma démarche.

Chaque œuvre s’ancre dans la réflexion sur le phénomène de la coexistence avec des éléments non planifiés, se modifiant l’un l’autre pour former des environnements en évolution permanente. Des constructions et des « déconstructions » progressives qui explorent nos façons d’occuper l‘espace en utilisant de manière subversive les règles du bricolage.

Avec mes projets récents, j’aborde la question de la valeur de l’objet comme témoin de l’histoire et son statut paradoxal, à la fois fondamental et accessoire. En multipliant leurs manipulations, j’explore les mécanismes de construction/déconstruction de leur identité.

Depuis quelques années, je crée des œuvres d’art à caractère « installatif » et temporaire. Souvent de grandes dimensions, elles sont intégrées à l’architecture ou à l’environnement immédiat. Ces projets m’ont permis de réaliser dans l’espace des œuvres autonomes qui se veulent des « indicateurs » de l’art contemporain. Ces œuvres s’inscrivent en relation avec le lieu par leur échelle, leur envergure et leur capacité à prendre en charge le contexte dans lesquelles elles s’inscrivent, aussi bien en milieu naturel, qu’en milieu urbain.

Accordant un intérêt particulier à la valeur symbolique de l’objet, je propose dans chaque projet une série d’expériences où les particularités du lieu, tant architecturales, culturelles que sociales, sont intrinsèquement liées.

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Portrait : Guy Samson
Oeuvre Ici et Ailleurs : JCLemay et Martin Bond
À propos de l’auteur

Après avoir passé plus d’une décennie à perfectionner l’art de trouver l’équilibre entre la nature et le monde techno, Amélie cultive à présent l’innovation et plusieurs projets créatifs au sein du Mitis Lab.